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AOP : utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation et évocation illicite de celle-ci

Environnement & qualité - Qualité
14/05/2019
L’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine protégée (AOP) peut constituer une évocation illicite de celle-ci. Tel est le sens d’un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) le 2 mai 2019.

Dans cette affaire, une société commercialise trois de ses fromages en utilisant des étiquettes comportant le dessin d’un cavalier ressemblant aux représentations habituelles de Don Quichotte de La Manche, d’un cheval maigre et de paysages avec des moulins à vent et des brebis, ainsi que les termes « Quesos Rocinante » (fromages Rossinante). Ces images et le terme « Rocinante » font référence au roman Don Quichotte de La Manche, de Miguel de Cervantès, Rossinante étant le nom du cheval monté par Don Quichotte. Les fromages en question ne sont pas couverts par l’appellation d’origine protégée (AOP) « queso manchego », qui couvre les fromages élaborés dans la région de La Mancha (Espagne) avec du lait de brebis et dans le respect des conditions du cahier des charges de celle-ci. La fondation chargée de gérer et de protéger cette AOP a introduit un recours contre cette société pour qu’il soit déclaré que les étiquettes utilisées pour identifier et commercialiser ces trois fromages qui ne sont pas couverts par l’AOP ainsi que l’utilisation des termes mentionnés impliquent une violation de l’AOP en question. C’est dans ce contexte que le juge espagnol a saisi la CJUE de questions préjudicielles.

La Cour considère, d’abord, que l’évocation d’une dénomination enregistrée est susceptible d’être produite par l’emploi de signes figuratifs. Elle relève tout d’abord que le règlement n° 510/2006 du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, prévoit une protection des dénominations enregistrées contre « toute évocation », et que l’emploi du terme « toute » reflète la volonté de protéger les dénominations enregistrées en envisageant qu’une évocation se produise par le biais d’un élément verbal ou d’un élément figuratif. Le critère déterminant pour établir si un élément évoque la dénomination enregistrée est celui de savoir si cet élément est susceptible de rappeler directement à l’esprit du consommateur, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette dénomination. Il appartient, selon la Cour, au juge national d’apprécier concrètement si les signes figuratifs en question sont susceptibles de rappeler directement à l’esprit du consommateur les produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée.

La Cour constate ensuite que l’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où les signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits, similaires ou comparables à ceux protégés par cette appellation d’origine, ne sont pas couverts par celle-ci. En effet, le règlement ne prévoit aucune exclusion en faveur d’un producteur établi dans une aire géographique correspondant à l’AOP et dont les produits sans être protégés par cette AOP sont similaires ou comparables à ceux protégés par cette dernière. Le juge national devra s’assurer que les signes figuratifs litigieux sont susceptibles de créer une proximité conceptuelle avec l’AOP, de sorte que le consommateur aura directement à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette AOP.

En outre, pour la Cour, la notion de « consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une « évocation » au sens du Règlement, doit être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens, y compris aux consommateurs de l’Etat membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.

Par Vincent Téchené

Source : Actualités du droit